Comme une partie des grands cinéastes, Samuel Fuller est tombé dans le cinéma par erreur. Rien ne le prédestinait à exercer son regard dans le Septième art. Aucune révélation ou illumination. Ce serait bien là tout le contraire de sa personnalité forte, au caractère bien trempé et un peu tête brûlée. Né en 1912 sur la côte Est des États-Unis, Fuller avait tout pour n’être qu’un petit gars de la ville. Suite au décès de son père, il amorça sa vie en tant que vendeur de journaux après l’école, pour gagner un peu d’argent à partager avec sa mère. Son existence ne fut pas des plus tendre avec lui. Il ne cessa de côtoyer la mort et la misère, aussi bien comme journaliste de faits divers dans les bas fonds new-yorkais, en reporter à travers l’Amérique de la crise de 1929 ou en soldat de la Première division d’infanterie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Casser les codes

Samuel Fuller n’est malheureusement pas un cinéaste aussi reconnu qu’il le devrait, contrairement à la plupart de ses contemporains. Son parcours est pourtant passé par le western, le polar ou le film de guerre. Ses succès ne seront pas restés longtemps dans la mémoire populaire. Ceci étant, Fuller n’avait rien fait pour se faire aimer du public. C’était plutôt tout le contraire, d’ailleurs. Peu importaient les sujets, il fallait prendre son audience à rebrousse-poil, chercher la provocation afin d’y déclencher une réflexion. Fuller fut aussi bien accusé d’être un conservateur raciste qu’un dangereux communiste selon les tendances politiques générales. Lui suivait sa propre voie. Il n’a jamais cédé aux sirènes de la facilité. Et lorsque Darryl F. Zanuck lui proposait de réaliser de grands films de studios pour le compte de la 20th Century Fox, le cinéaste refusait poliment, trop attaché à son indépendance financière et sa liberté de ton. Tant pis pour la notoriété.

shock corridor

Shock Corridor (1963)

À l’heure où de jeunes pousses, à peine sorties du cinéma indépendant américain, sont propulsées à la tête de blockbusters estimés à des centaines de millions de dollars, l’intégrité de Samuel Fuller fait encore figure d’exemple – ou de contre-exemple. Dès son premier film, celui-ci démontrait une volonté de casser les codes parmi les masses, passant du côté de l’assassin de la légende Jesse James et de retourner la catharsis du public envers le lâche Robert Ford, prit de remords après son forfait. De Hari Rhodes arborant la cagoule du Ku Klux Klan dans Shock Corridor (1963) à Gene Evans en soldat désabusé de J’ai vécu l’enfer de Corée (1951), Fuller tenait systématiquement à faire vaciller ses spectateurs, pétris dans leurs certitudes pour mieux faire voler en éclat les petites cases établies autour des genres cinématographiques et du manichéisme réconfortant hollywoodien.

Vérité et mensonge
pierrot le fou

Samuel Fuller dans Pierrot le fou (1965)

Jean-Luc Godard, qui l’avait mis en scène dans son propre rôle dans Pierrot le fou, disait que le cinéma c’est la vérité vingt-quatre fois par seconde. Il faut croire que l’inverse s’est joué chez Samuel Fuller. « Je mens. Je mens comme jamais », avouait-il lors d’une interview concernant sa mise en scène des films de guerre en atténuant la boucherie à l’écran. Pourtant, cela n’avance pas l’idée que le cinéaste américain se soit caché derrière un cinéma purement de fiction. Derrière Violence à Park Row (1952) ou Le Port de la drogue (1953), il y a son expérience qui s’inscrit dans chaque plan, personnage et situation. Fuller est en cela complexe qu’il fut un témoin privilégié des grands drames de la fin du XXème siècle, mais ne transmit son vécu que par le prisme de la fiction. Il rétablira cette trajectoire dissidente avec ses mémoires intitulées Un Troisième visage (publiée à titre posthume en 2004).

Des débarquements en Afrique du nord, en Italie et en Normandie, son parcours de soldat de la Big Red One le mena jusqu’au camp de concentration de Falkenau dans les Sudètes annexées par l’Allemagne nazie. À l’horreur des champs de bataille avait succédé le pire. Équipé d’une caméra super 8, il y tourna son premier film. La preuve par l’image, incontestable, qu’il avait comprit lors de ses multiples reportages et que l’on retrouvera plus tard avec sa reconstruction des procès de Nuremberg dans Verboten! (1959). Ce fut dans ce cinéma plus complexe qu’il n’y paraît, nourrit par la vérité et sublimé par la fiction, où l’amateur de bons cigares aimait se dédoubler dans les personnages de l’escouade d’Au-delà de la gloire (1980), réécrivant parfois les souvenirs trop durs d’une histoire extraordinaire et hors du commun.

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Au-delà de la gloire (1980)

Vous trouverez tous les renseignements relatifs à la programmation directement sur le site de la Cinémathèque française. A noter la parution prochaine, le 17 janvier, du livre « Samuel Fuller : le choc et la caresse », ouvrage rétrospectif dirigé par Jean-François Rauger (directeur des programmations à la Cinémathèque française) et Jacques Déniel.

La rétrospective Samuel Fuller se tiendra du 3 janvier au 15 février 2018 à la Cinémathèque française.
Ouverture du cycle avec La Maison de bambou (1955) le 3 janvier à 20h.
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2 commentaires

A FULLER LIFE – Revus et Corrigés · 3 janvier 2018 à 13 h 21 min

[…] Le documentaire sera projeté le samedi 6 janvier 2018 à la Cinémathèque française et la Cinémathèque de Toulouse dans le cadre de la rétrospective consacrée à Samuel Fuller. […]

Conversation avec Samantha Fuller – Revus et Corrigés · 17 janvier 2018 à 18 h 41 min

[…] et celle de Toulouse, les vingt ans de la disparition de ce cinéaste américain essentiel était un événement pour Revus et Corrigés, d’autant que ses long-métrages et sa façon bien à lui de voir le monde sonnent toujours aussi […]

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