L’intrigue


Jim Hart n’est plus qu’à trois jours de la retraite. Avant de partir, ce flic intègre et respecté de tous s’est donné pour dernière mission de mettre sous les verrous Rick Masters, un faux-monnayeur sans pitié qui règne sur Los Angeles. Mais il échoue et est abattu de sang froid. Dévasté par le chagrin, son coéquipier Richard Chance jure de venger celui qu’il considérait comme son meilleur ami. Pour faire tomber Masters, il n’hésitera pas à franchir les limites de la légalité, entraînant avec lui son nouveau coéquipier John Vukovich…

 

 

Une question de vie ou de mort


D’un trait, on s’amuse parfois à relier les œuvres du cinéma les unes aux autres, on trace des arcs qui façonnent ainsi des genres, des courants. C’est à l’image de la ville de Los Angeles, tentaculaire, interconnectée ou plutôt informe dans ses frontières inexistantes. Tout le cinéma américain des années 80 a regardé la cité des anges comme un monstre en pleine mutation, témoin d’un nouveau monde, d’une nouvelle génération hollywoodienne, d’une nouvelle ère politique. Police Fédérale Los Angeles est à certains égards le pendant Ouest de French Connection, tourné une quinzaine d’années plus tôt, avec lequel il fait office de véritable vase communiquant. New York obsédait alors toute la génération des années 70, réceptacle parfait des rêves et cauchemars américains. William Friedkin l’achevait, au tournant de la décennie, dans Cruising – La Chasse. Los Angeles transcende cet esprit, par l’exagération, sous la caméra du cinéaste, dans un polar monumental qui scanne cette évolution.POLICE-FEDERALE-PHOTO-SITE-9

Ce thriller policier désabusé se situe dans une partie de carrière difficile pour Friedkin : l’échec monumental du Convoi de la Peur se ressent encore et la décennie 80 n’aura pas été placée sous le signe de l’homogénéité artistique. Néanmoins, tout comme Martin Scorsese, Friedkin est un cinéaste complètement obsédé par l’idée de constamment parachever sa carrière, en tant qu’œuvre unique, et ce en refaisant, d’une certaine manière, toujours le même film. Police Fédérale Los Angeles est un film-poupée russe, enclin à se ré-inventer d’une séquence sur l’autre, surprenant dans son déroulement, ses rebondissements et leurs successions de tons. En témoignent une double introduction et un double générique, comme si Friedkin souhaitait désorienter son spectateur, lui faire partager un tourbillon californien nauséeux qui, évidemment, aura raison de la moralité des personnages. Et, parfois, de leur vie.

POLICE-FEDERALE-PHOTO-SITE-11Il n’y a cependant pas vraiment de héros dans Police Fédérale Los Angeles. Richard Chance (William L. Petersen) est l’un de ces héros typiques de Friedkin, assez gauche et pas forcément un parangon de charisme ; son binôme peu efficace rappelle évidemment celui de French Connection. Friedkin est plutôt fasciné par Rick Masters (le carnassier Willem Dafoe), faux-monnayeur psychopathe doublé d’un artiste torturé – pas de doutes, on voit bien Friedkin s’y projeter. Police Fédérale Los Angeles ressemble par ailleurs à une installation d’art contemporain, violente et auto-destructrice, encore une fois à l’image de Rick Masters. Mais magnétique, surtout, absorbante, comme son « tuto faux-billets » comme l’avait bien si formulé Luc Lagier. Un fantasme pour un réalisateur, qui a l’impression de commettre le crime parfait – et pour cause, puisqu’un véritable faux-monnayeur a sévi sur le tournage.

Mais ne tergiversons pas : Police Fédérale Los Angeles, délire égotique oblige, c’est surtout la grande poursuite en bagnole du cinéma américain. Par sa longueur (une dizaine de minutes), Friedkin y poursuit son jeu de poupées russes, démultipliant sa poursuite entre plusieurs secteurs (le quartier industriel, le fleuve bétonné, l’autoroute…) face à des opposants innombrables et troubles. La poursuite en elle-même est une épreuve morale pour les (anti) héros, en train de s’enfoncer dans le crime, et dans leur médiocrité. Mais elle est aussi à l’image de son réalisateur, démesurée, à contre-courant jusqu’à l’absurdité, symbolisée par ce panneau rouge « wrong way » face auquel Richard Chance remarque « on prend ce chemin », embrayant le pas dans une sortie d’autoroute, à contre-sens.

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Tout le symbolisme urbain dont est parcouru Police Fédérale Los Angeles rappelle un autre cinéaste, Michael Mann. Les liens entre les deux hommes ne sont plus à prouver, eux qui ont aimé se perdre dans le spectre hypnotisant de Los Angeles, eux qui ont collaboré quasiment au même moment avec William Petersen, eux qui ont fait appel à Tangerine Dream. Friedkin ne l’a jamais assumé, encore moins avoué, mais il y a là un lien profond, à la différence près que les héros manniens sont paumés dans la ville car ce sont des idéalistes déphasés, quand ceux friedkiniens sont paumés car ce sont juste des blaireaux. Leurs figures de style se ressemblent néanmoins, avec cette manière de plaquer la kitcherie post-moderne des années 80, que quelque part ils méprisent autant qu’ils embrassent (comme la géniale musique de Wang Chung), avec des référentiels plus absolus et universels, comme ces nuances de rouge, omniprésentes dans le récit de Friedkin : la peinture rouge, évidemment, que Rick Masters dispose sur sa plaque à billets ; la porte rouge de son entrepôt ; les néons rouges du club ; les serviettes rouges du vestiaire et le massacre, bientôt, qui va s’y dérouler.

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C’est à se demander pourquoi a-t-on commis le crime de traduire le titre original, To Live and Die in L.A., qui n’est pas simplement programmatique des mésaventures des protagonistes, mais a aussi quelque chose de plus profond, de plus grand, de plus américain. On pourrait proposer l’alternative To Live and Die in the 80’s, tant le film est un portrait de son monde et de son époque. On se demande « à quoi bon ? » tellement toute cette action, démesurée mais absurde, semble se perdre dans l’infini de la ville, sans avoir changé quoi que ce soit. Une journée de plus à Los Angeles, en somme, sacrifiée sur l’autel du Dieu dollar. Néanmoins, le film en lui-même peut se vanter d’avoir laissé un petit quelque chose. De sa chaleur terrassante en journée, de sa nuit toujours illuminée, la ville tentaculaire voit également naître, deux ans plus tard, la saga de Richard Donner : L’Arme Fatale (dont la réplique fondatrice « I’m too old for this shit » se trouve également dans le Friedkin). A nouveau, on a tracé un nouvel arc reliant quelques points dispersés du cinéma. Entre chefs-d’œuvre, on se comprend.

Police Fédérale Los Angeles est disponible en vidéo, édité par Carlotta, depuis le 6 décembre 2017. Plus de détails sur le coffret ultra-collector dans notre article.

3D COFFRET ULTRA COLLECTOR POLICE FÉDÉRALE, LOS ANGELES OUVERT DEF

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