Le cinéma est aussi une affaire de femmes : Jacqueline Audry n’a cessé de l’affirmer tout au long de sa carrière. Son cinquième film Olivia est à redécouvrir en salles en version restaurée. Un film méconnu d’une réalisatrice oubliée qui a pourtant beaucoup œuvré pour l’affirmation du désir féminin.

1890. La jeune Olivia arrive comme nouvelle élève dans un riche pensionnat de jeunes filles. Derrière son aspect classique et ordonné, l’école est divisée en deux camps – les julistes et les caristes – organisés autour des deux directrices de l’établissement, Mlle Julie (interprétée par la merveilleuse Edwige Feuillère) et Mlle Cara (Simone Simon, qui manque parfois de nuance). Julie délaisse son ancienne amante Cara pour porter son affection sur ses élèves, qu’elle séduit et promet d’aimer. L’élégante Mlle Julie fascine plus d’une jeune fille du pensionnat, qui vit au rythme des soirées lecture qu’elle anime. Olivia, conquise par son charisme et son érudition, va bientôt tomber follement amoureuse d’elle. Au-delà du formalisme démodé du film, dû à l’ambiance enfantine et précieuse de l’école, Olivia mérite d’être vu pour sa représentation de la naissance du sentiment amoureux : « Dis-moi ce que c’est d’être amoureux ! – Non, c’est trop horrible pour en parler, trop délicieux pour y penser ». Le long-métrage est notamment agrémenté de petites touches d’humour, comme le personnage de la professeure d’arithmétique qui déteste les chiffres et ne pense qu’à bien manger.

Désir et tabou

Mais surtout Olivia parle frontalement de l’homosexualité féminine, onze ans avant La Rumeur. Le chef-d’œuvre de William Wyler y ressemble par le thème mais pas par le fond : les deux directrices d’école de La Rumeur, incarnées par Audrey Hepburn et Shirley MacLaine, ne sont pas amantes, et c’est là l’élément fondamental différenciant les deux films. Jacqueline Audry aborde dans Olivia un sujet tabou et honni, peu représenté au cinéma jusqu’alors. L’amour entre Julie et Olivia est réel, bien que non consommé. Et point essentiel : la réalisatrice ne juge jamais ses personnages. Leur amour est montré comme n’importe quel amour hétérosexuel et jamais comme anormal ou déviant. Sans surprise, le film fut mal reçu à sa sortie et qualifié de pervers.

Malgré cela, Jacqueline Audry (1908-1977), notamment réhabilitée dans la série Voyages à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier) s’attacha toujours à parler de sentiment amoureux et d’émancipation féminine, 60 ans avant l’émergence de la notion d’empowerment. Elle a notamment adapté au cinéma des livres de Colette (Gigi, Mitsou, Minne, l’ingénue libertine), de Sartre (Huis Clos) et de Victor Marguerite (La garçonne), abordant des thématiques (presque) toujours féministes et avant-gardistes. Quelque peu oubliée aujourd’hui, elle fut pourtant la première réalisatrice française d’importance dans le cinéma parlant, après Alice Guy donc, mais avant Agnès Varda.

Olivia
un film de Jacqueline Audry
Avec Edwige Feuillère, Simone Simon, Yvonne de Bray
1951 – France

En salles le 5 décembre 2018
En DVD le 1er octobre 2019
Solaris Distribution

Afin de poursuivre la redécouverte de la cinéaste, à noter le livre Jacqueline Audry, La femme à la caméra de Brigitte Rollet, édité par les Presses Universitaires de Rennes, paru en 2015.

Crédits images : © 1951 Memnon Films, DR

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